Il y a deux ans, à Moului Bazar, banlieue de Dhaka, Bangladesh, la petite échoppe de Gousul s’appelait Nancy entreprise.Aujourd’hui, rue Saint Nicolas, à Nancy, le petit magasin du même Gousul s’appelle Asiatic store. 
Changement de point de vue. De l’est à l’ouest. De l’Orient à l’Occident. 

Avec ses bottes de sept lieues et du courage à la pelle, Gousul, est venu, sac au dos, porter sa petite boutique au coin de notre rue. La même, presque la même… A quelques épices près... Un vieux rêve : quitter l’insécurité, les réglements de compte impunis, l’absence de lois, que dit si bien T.Nasreen, pour rejoindre ce pays des Droits de l’Homme, qui là-bas paraît un havre de paix.


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Un vieux rêve cher payé. Il a fallu venir seul d’abord, sans papiers, clandestin, sans famille, seul, tout seul, dans cette petite piaule de hasard, dans cette ville inconnue. Puis, Afroza la petite épouse, celle de la photo du portefeuille éculé de Gousul, un jour est arrivée. Avec les trois petits. Hagarde, perdue, avec ses trois petiots lovés contre elle, dans le froid, dans la peur, loin des jardins de thé du grand-père, loin des rizières, loin du Brahmapoutre, loin des rickshaws... 

Alors, il y a eu le chômage, les paperasses infinies, le courrier du pays qui n’arrivait pas, l’hiver, les pieds nus dans les sandales, les charudars trop légers et cette langue inconnue à laquelle on n’entendait rien…
Aujourd’hui les petits lisent et écrivent, le petit commerce s’organise, la maison est chauffée et on a appris à manger le pain plutôt que le riz... 
Aujourd’hui, on sait rire de ce voyage à l’envers, de cette aventure de misère, de cette conquête de l’ouest… 

Aujourd’hui, Djuti, la petite dernière est née. 
Elle est française ou le sera. 
Elle, n’aura pas connu le pays. 
Elle, n’ira qu’en touriste. 
Elle, entendra le voyage de sept lieues comme le récit invraisemblable d’un autre temps, la fable nébuleuse et peu crédible de ses origines, le mythe familial complaisamment auréolé d’anecdotes amères et d’invraisemblables méandres socio-administratifs. 

Et, moi, qui ai, au nom de l’affection, fait avec eux ce voyage « dolore ». Moi qui, avec eux, ai traversé la terre de bout en bout, attendu avec eux dans les centres sociaux, les dispensaires, les préfectures et tribunaux de commerce de tout poil. Moi qui suis devenue leur Maa à tous, j’ai plaisir, le dimanche, quand la jute recouvre fruits et légumes, quand le rideau est tiré sur la devanture, à regarder les photos de ce pays où, par hasard, au détour d’un « circuit d’aventures », un jour, nous nous sommes rencontrés, avant que ne s’amorce l’immigration-espérance…, ce beau pays où les tigres parcourent les légendes et où les vieux parents vieillissent seuls, pour avoir vu s’envoler leurs enfants sous le ciel de France. A nous alors, entre tandoori, raïta et curry, les plantations d’épices, à nous la mosquée d’Atia, à nous le Jamuna Bridge sur le grand fleuve. A nous rizières, cargos, coolies. Voyage à l’envers… Mémoire en poupe… Partages Europe-Asie… Citoyenneté du monde ! 

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